NÉANDERTAL / CRO-MAGNON
Ils ont fait l'amour, pas la guerre

Une Fête de la Science pour célébrer les progrès fulgurants de celle qui les met toutes à contribution pour chasser préjugés et vieux démons : la fascinante science de la Préhistoire.

Après s'être longtemps entretués dans les tréfonds de notre imaginaire – alors qu'il n'y a à l'Âge de pierre aucune trace de guerre – on sait aujourd'hui que Néandertal et Cro-Magnon se sont croisés au propre et au figuré. De ces unions sont nés quelques bébés. Ils étaient donc interféconds. Quid dès lors de la notion même d'espèce censée séparer entre eux deux groupes incapables de s'accoupler ?

À l'occasion de la projection au Bugue du film « NÉANDERTAL, LE RETOUR » dans le cadre de la Fête de la Science avec pour invité scientifique Alain Turq, l'un des meilleurs spécialistes au monde des sociétés néandertaliennes, nous avons pu aborder cette grande question : qu'est-ce qui définit une espèce aujourd'hui ? Ainsi que d'autres thèmes brûlants d'actualité sur lesquels le chercheur nous a apporté son regard étonnant souvent, décalé parfois, fondé toujours. Nous vous proposons de retrouver, au gré d'extraits vidéos, les temps forts de cette soirée ciné-débat.

« NÉANDERTAL, LE RETOUR »
un film de Sophie Cattoire :
les gorilles n'enterrent pas leurs morts...

Inhumé par les siens, le squelette d'un vieux monsieur néandertalien eut de ce fait la chance d'être parfaitement bien conservé pendant plus de 50 000 ans dans une grotte du petit village de la Chapelle-aux-Saints en Corrèze. Il y fut découvert en 1908 par deux curés archéologues, Jean et Amédée Bouyssonnie accompagné par leur jeune frère Paul, qui constatèrent la position sépulcrale de cet homme fossile et en furent profondément bouleversés.

Pour le Centenaire de sa découverte présidé par le Professeur Yves Coppens, le « bonhomme » eut le droit de quitter le Musée de l'Homme à Paris pour rallier sa dernière demeure. Villageois et chercheurs se penchèrent alors sur sa relique, déposée avec le plus grand soin et une infinie tendresse dans la nef de l'église, et évoquèrent son fabuleux destin... posthume. Sa position sépulcrale ayant agi tel un véritable sésame pour forcer les portes de l'humanité, jusqu'alors farouchement verrouillées. On lui accorda alors le statut de cousin, ce qui signifiait qu'il aurait, à partir d'un ancêtre commun, évolué différemment jusqu'à former une autre espèce, sans possibilité d'hybridation avec la nôtre.

Grâce à la génétique, Néandertal et Cro-Magnon se sont révélés interféconds

En 2008, au moment du Centenaire de la découverte du vieux Néandertalien de la Chapelle-aux-Saints, on doutait encore du fait que Néandertal et Cro-Magnon ait pu s'accoupler lorsqu'ils ont cohabité en Eurasie il y a entre 100 000 et 40 000 ans. En 2010, la paléogénétique en pleine effervescence tranchait d'un coup la question en reconstituant le génome de l'Homme de Néandertal, grâce à l'ADN préservé sur quatre fossiles différents. L'équipe de Svante Pääbo du Max Planck Institute de Leipzig en Allemagne déclarait alors :

« L'Homme de Néandertal est notre parent le plus proche. Nous partageons de 1 à 4% de nos gènes avec lui ». Les populations étaient alors très faibles et éparses, ces croisements ont dû être rares. Mais leur existence même démontre que Néandertal et Cro-Magnon étaient interféconds, ce qui jusqu'alors était la condition requise pour faire partie de la même espèce.

La science a pour mission de redéfinir la notion d'espèce

Autrefois on comparait les os, à présent on compare les gènes. Ce qui change le point de vue, la perspective et bouscule les classifications. Sur Terre actuellement, nous savons que nous avons tous le même génome, à très peu de différences près. Et pourtant la diversité d'apparence – couleur de cheveux, de peau, de traits... – reste ce qui nous saute aux yeux, à première vue. Au point que l'idée aussi funeste qu'illusoire de races distinctes perdure, avec son cortège d'infamies. Grâce à la génétique, non content d'avoir retrouvé du Néandertal en nous, sur la base d'un fragment de petit doigt, les généticiens ont établi en 2009 le génome de l'Homme de Denisova. Il a un génome différent de ceux qui vivaient en même temps que lui en Eurasie : Néandertal, l'Homme moderne (ou Cro-Magnon), et même un quatrième individu que seule la génétique fait apparaître alors qu'aucun fossile ne nous est encore parvenu !
Du coup, comment définir la notion d'espèce ? Y a-t-il un pourcentage de différences à partir duquel nous ne serions plus de la même espèce tout en restant potentiellement interféconds ? La grande mission des chercheurs va être précisément de permettre à la notion d'espèce de faire peau neuve.

Les différences physiques de Néandertal s'expliquent par une adaptation aux grands froids cycliques des glaciations

À partir d'ancêtres africains qui ont fait le voyage jusqu'en Europe, l'Homme de Néandertal est le fruit de millénaires d'adaptation aux grands cycles des glaciations, tous les 100 000 ans environ. De noir sa peau est devenue blanche et chacun de ses os s'est transformé pour faire de lui le champion de la survie au grand froid. Il n'eut pas le temps de faire le chemin génétique inverse lorsque le climat a commencé à redevenir tempéré, il y a environ 50 000 ans, alors que les groupes qui sont à ce moment-là sortis d'Afrique avaient de leur côté dans leur patrimoine un éventail de gènes tout le nécessaire pour vivre en zones chaudes. Ces nouveaux arrivants ne s'étaient pas hyperspécialisés pour les grands froids, quitte à perdre un bon nombre de gènes qui, avec ce changement climatique, redevenaient vitaux. Ce sont eux que les chercheurs considèrent comme nos ancêtres directs, les premiers hommes modernes. Ils auraient progressivement, sans conflit, sans guerre, mais grâce à leur avantage génétique, absorbé peu à peu les populations locales appauvries génétiquement car adaptés à d'autres temps, d'autre conditions climatiques.

Nous sommes tous aujourd'hui de la même espèce, de la même famille sur Terre

Peu à peu, l'archéologie nous permet de combler le fossé si profond que nous avions idéologiquement creusé entre Néandertal et nous, il y a 150 ans. Nous comprenons qu'il est question d'évolution en réponse aux climats et aux environnements et non de races différentes. Étrangement, ce rapprochement loin dans le temps, nous avons du mal à le faire présentement. Dissiper la fallacieuse idée de races et comprendre que nous sommes tous de la même espèce sur Terre est pourtant l'essentiel de ce que nous enseigne la Préhistoire. Une question fort pertinente d'une jeune femme du public permit à Alain Turq de répondre sans la moindre ambiguïté :
« Pour un scientifique, la question des races est complètement dépassée, ce n'est plus un problème. »
Simple, basique. Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant.

Sophie Cattoire