HOMO FABER

On a percuté il y a 3,3 millions d’années !

Cette roche volcanique, nommée phonolite, délibérément fracturée pour obtenir un tranchant détient à ce jour le record de l’outil le plus anciennement fabriqué.

Site de Lomekwi 3, Ouest Turkana, Kenya, 3,3 Ma.

Pierre taillée retrouvée sur le site de Lomekwi 3, Ouest Turkana, Kenya, datée de 3,3 millions d’années
Pierre taillée retrouvée sur le site de Lomekwi 3, Ouest Turkana, Kenya, datée de 3,3 millions d’années
Col.Musées nationaux du Kenya, Nairobi
Photo : Vincent Lesbros - FERRASSIE TV

Pour situer le contexte, il faut imaginer en Afrique il y a quatre millions d’années, nos ancêtres primates vivant parmi de nombreuses autres espèces animales, impressionnantes par leur taille : proboscidiens, rhinocérotidés, hippopotamidés, giraffidés, équidés, bovidés, suidés, carnivores et certains reptiles, crocodiliens et tortues. C’est au milieu de ces très gros vertébrés que certains primates vont commencer à tailler des roches dures.

Fossiles originaux et moulages de certains gros vertébrés avec lesquels nos ancêtres primates cohabitaient en Afrique, il y a entre 4 millions et 1 million d’années.
Fossiles originaux et moulages de certains gros vertébrés avec lesquels nos ancêtres primates cohabitaient en Afrique, il y a entre 4 millions et 1 million d’années.
Col. Musées nationaux du Kenya, Nairobi.
Photo : Vincent Lesbros - FERRASSIE TV.

Des traces de dents de ce crocodile géant, qui pouvait mesurer jusqu’à 10 mètres de long, ont été signalées sur des os d’Homo habilis, ossements humains datés de 1,9 Ma et retrouvés sur le site d’Olduvai en Tanzanie.

Dent de Rimasuchus lloydi, espèce éteinte de crocodile géant.
Dent de Rimasuchus lloydi, espèce éteinte de crocodile géant.
Site de Lomekwi, Ouest Turkana, Kenya.
Col. Musées nationaux du Kenya, Nairobi
Photo : Vincent Lesbros - FERRASSIE TV

La conception des premiers outils pourrait être perçue comme l’enclenchement d’une domination progressive de la nature, d’une appropriation de la planète, alors qu’il ne s’agissait au départ que de vivre mieux dans une biodiversité florissante.

« Trousse à outils » préhistoriques contenant nucléus, éclats, outils de martelage et enclumes.
« Trousse à outils » préhistoriques contenant nucléus, éclats, outils de martelage et enclumes.
Site de Lomekwi 3, Ouest Turkana, Kenya, 3,3 Ma.
Col. Musées nationaux du Kenya, Nairobi
Photo : Vincent Lesbros - FERRASSIE TV

Les premiers outils taillés il y a 3,3 millions d’années

Les premiers tailleurs, les premiers artisans, ont fabriqué à partir de roches volcaniques, phonolite et basalte, des éclats tranchants en fracturant ce type de blocs.

C’était il y a 3,3 millions d’années sur la rive ouest du Lac Turkana, en Afrique, au Kenya.

L’ancien record d’ancienneté était jusqu’alors détenu par des galets aménagés, datés de 2,6 millions d’années, découverts à Kada Gona en Éthiopie en 1976 par la même équipe alors dirigée par Hélène Roche.

Poursuivant ses recherches, cette mission française à présent dirigée par la disciple d’Hélène Roche, Sonia Harmand, est parvenue à faire reculer l’âge des pierres taillées de 700 000 ans grâce à ces nouvelles découvertes faites en 2011 et 2012, dans le cadre du West Turkana Archaeological Project.

Pierre-Jean Texier, lithicien de haut rang, l’un des commissaires scientifiques de l’exposition HOMO FABER, avec son regard bleu azur et son sourire fraternel, nous permet grâce à la clarté de ses explications de mesurer l’importance de ces objets-là : éclats, nucléus, outils de martelage et enclumes.

Pierre-Jean TEXIER, Directeur de recherche émérite du CNRS - UMR 7269, Laboratoire méditerranéen de Préhistoire, Europe-Afrique, LAMPEA, CNRS, Aix-Marseille Université.

L'auteur des plus vieux outils connus

La science avance, son vocabulaire progresse et s’enrichit. Comme sur les rives du Lac Turkana, au Kenya, à la période qui correspond aux plus vieux outils connus à ce jour (3,3 Millions d’années), on a retrouvé présentement les restes d’un Kenyanthropus platyops et ceux de plusieurs Australopithèques afarensis, ils sont potentiellement les tailleurs de ces roches volcaniques, ceux-là mêmes qui ont su en extirper des éclats tranchants.

À ce titre, ils font dorénavant partie des « Hominines », terme récent qui regroupe le Kenyanthropus platyops, les Australopithèques et les représentants du genre Homo.

Reste à savoir s’il faut créer un genre pour un seul Kenyanthrope découvert, ou lui faire rejoindre la famille des Australopithèques qui donnera plus tard en Éthiopie la fameuse Lucy (3,18 Ma).

Là aussi, les éclairages de Pierre-Jean Texier sont précieux.

Crâne de Kenyanthropus platyops découvert à l’Ouest du Lac Turkana au Kenya et daté entre 3,5 et 3,2 millions d’années.
Unique représentant du genre Kenyanthrope, il pourrait s’agir d’un Australopithèque afarensis.

La production en série il y a 2,3 millions d'années

Un million d’années plus tard, les gestes de percussion se précisent. La reconstitution par remontage des petits blocs originaux révèlent que ces derniers ont été soigneusement choisis. Ces nucléus ont été débités par percussion directe, en détachant des séries successives de deux à cinq éclats, de manière à toujours préserver la géométrie d’origine. On écoute sur ce sujet précis Pierre-Jean Texier.

Restes de taille grâce auxquels les chercheurs ont pu procéder à des remontages complets.
Site de Lokalalei 2C, Ouest Turkana, Kenya, 2,3 Ma.

Il y a environ 1,8 millions d’années, les tailleurs du site de Kokiselei 5 à l’Ouest du Lac Turkana, au Kenya, choisissent des roches dures adaptées à la taille, sans plus se préoccuper désormais de leur morphologie initiale. Il savent ouvrir de nouveaux plans de frappe pour réorienter et optimiser le débitage. Il y a environ 1,7 millions d’années, vont être façonnés sur le site de Kokiselei 4 des pics, des unifaces et des bifaces à partir de grand galets plats ou de dalles de phonolite amincies par fendage. Ce mode de façonnage qui est une sculpture de la forme constituera une innovation de taille.

Pics, unifaces et premiers bifaces façonnés au percuteur de pierre.
Pics, unifaces et premiers bifaces façonnés au percuteur de pierre.
Site de Kokiselei 4, Ouest Turkana, Kenya, 1,7 Ma.
Col. Musées nationaux du Kenya, Nairobi.
Photo : Vincent Lesbros - FERRASSIE TV

Situé dans le Sud du Caucase, le site de Dmanissi en Georgie a livré de nombreux vestiges humains qui correspondent à ce jour aux plus anciennes traces des représentants du genre Homo hors du continent africain. C’est pourquoi l’exposition HOMO FABER complète les collections venues d’Afrique par celles de Dmanissi, provenant du Muséum national de Georgie à Tbilissi.

Sophie Cattoire

Crâne et mandibule d’Homo erectus georgicus 
Dmanissi, Georgie, 1,8 Ma.
Crâne et mandibule d’Homo erectus georgicus Dmanissi, Georgie, 1,8 Ma.
Col. Muséum national de Géorgie.
Ce crâne qui constitue à ce jour le plus ancien vestige du genre Homo en Eurasie, place le Caucase comme une des premières destinations de nos ancêtres, lors de la sortie du berceau africain.
Photo : Sophie Cattoire - FERRASSIE TV

HOMO FABER

2 MILLIONS D’ANNÉES DE L’HISTOIRE DE LA PIERRE TAILLÉE
De l’Afrique aux portes de l’Europe

À voir au Musée national de Préhistoire des Eyzie jusqu’au 29 novembre 2021.

Directrice du Musée national de Préhistoire
Nathalie Fourment

Commissaire général de l’exposition
Jean-Jacques Cleyet-Merle
Commissaires scientifiques
Jean-Philip Brugal
Ana Mgeladze
Pierre-Jean Texier

Visite découverte HOMO FABER

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