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À LA FERRASSIE, LE BONHEUR C'EST SIMPLE COMME UN COUP DE PELLE !

Bonjour Madame La Ferrassie, vous avez une minute ? C'est pour un sondage. Il vous faudra juste répondre à trois questions :

  • - à votre avis, les sept squelettes retrouvés sous votre abri ont été enterrés là il y a 30 000 ans, 80 000 ans, ou plus de 100 000 ans ?
  • - à l'époque où ces sept personnes néandertaliennes ont été mises en terre par leurs congénères, votre abri ressemblait à une grotte, à un abri ou à tout autre chose ?
  • - d'une façon plus générale, savez-vous comment se sont formés les abris et les cavités habitées par l'homme dans ce vallon dont vous êtes, Dame Ferrassie, la perle ?

Ainsi l'aréopage de scientifiques de haut vol penchés sur le berceau de La Ferrassie - préhistoriens, anthropologues et géologues – auraient-ils pu s'exprimer en ce 21 juin 2010, jour de l'été, journée historique et radieuse s'il en fût. À l'issue d'un printemps glacial et diluvien, le grand beau temps survint en effet d'un coup, comme si le ciel s'était ouvert, lui aussi, pour mieux regarder au creux du sondage réalisé par les chercheurs, tout au bord du célèbre abri.

LA FERRASSIE A-T-ELLE CONSERVÉ LA DATE DU BAIL DE SES PREMIERS LOCATAIRES ?

Une question cruciale était posée qui ne pourrait, ce jour-là, se résoudre qu'à coup de pelle, mais rien n'était gagné. Quelques coups de pelle plus tard donc, et, en fin de matinée, l'angoisse cède la place à l'euphorie.
Oui ! Il reste des couches archéologiques en place, non remaniées par les fouilles Peyrony menées il y a un siècle, et elles sont bien à l'endroit où furent trouvés les deux premiers squelettes, la Ferrassie 1 et La Ferrassie 2, supposés être un homme et une femme, bien que cela reste à prouver.
Oui ! Il est donc possible de faire des prélèvements afin de dater ces sédiments qui nous donneront enfin une idée sérieuse du moment où ces personnes furent inhumées.
En clair, grâce à la reprise des fouilles ce 21 juin 2010, La Ferrassie ne va plus pouvoir très longtemps tricher sur son âge, ce qui risque de bouleverser une bonne partie des théories sur l'histoire de l'humanité.

LES DATES PEUVENT TOUT CHANGER

Les dates, c'est important. Imaginez que Jésus soit né non pas il y a 2010 ans mais il y a 50 000 ans, que resterait-il aujourd'hui de Lourdes, du Pape et de l'Immaculée Conception ? Oui, les dates, ça compte, et ça peut modifier le scénario de nos origines, radicalement.

Les fouilles de Denis Peyrony au début du XXe siècle avaient certes livré une foison tout-à-fait exceptionnelle de squelettes néandertaliens, six au total, complétée par un septième découvert par Henri Delporte dans les années 70, plaçant ce gisement au deuxième rang mondial derrière Shanidar au Kurdistan. Mais, faute de documentation pour identifier les couches archéologiques où reposaient ces gens, et en raison des limites de recul dans le temps des datations au carbone 14, par défaut donc, on en était resté à 35 000 ans.

Grâce à la découverte majeure, faite en ce premier jour de l'été 2010, d'une partie significative des couches archéologiques moustériennes demeurées intactes, le voyage entrepris par l'équipe de scientifiques codirigée par Alain Turq et Harold Dibble depuis la station préhistorique de La Ferrassie, en Dordogne, nous fera certainement remonter beaucoup plus loin dans le temps.
Ces nouvelles données risquent de constituer une onde de choc dans notre perception de l'histoire de l'humanité. Si le geste d'enterrer ses morts était apparu finalement plus tôt en Périgord ou à la même époque qu'au Proche Orient, qui détient à ce jour le record d'ancienneté, alors il nous faudrait remettre en cause certaines idées sur l'évolution des cultures et le mouvement des populations humaines les plus anciennes. Car nos théories en la matière manquent encore cruellement de données. Rappelons que seules 40 sépultures néandertaliennes ont à ce jour été retrouvées au monde, dont sept à La Ferrassie dont on ignore encore l'âge. Nous n'en sommes qu'au tout début d'un très long chemin. Il n'y a que 200 ans que la question de nos origines est ouvertement posée, sans risquer l'excommunication ou le bûcher.

DE NOUVELLES MÉTHODES DE DATATION BASÉES SUR LA RADIOACTIVITÉ

En un siècle, les méthodes de datations ont progressé. À présent on peut remonter bien plus loin que 35 000 ans et ce notamment grâce à la mesure de la radioactivité accumulée sous terre par certains éléments. Le quartz est un bon indicateur. Voilà l'idée : à l'aide de dosimètres, on mesure la radioactivité ambiante de l'endroit concerné. On prélève des fragments de quartz dans les couches en place et on mesure leur degré de radioactivité. Celui-ci révèle le temps depuis lequel il est exposé à cette radioactivité. En fait on sait remettre les compteurs à zéro en exposant ce quartz d'un coup à la chaleur (300°) ou à la lumière (laser). Le différentiel entre ce zéro et la mesure précédente donne la durée de son séjour sous terre.

DES HOMMES, DES OUTILS ET DES GROTTES

Grâce à leurs mesures et à leurs prélèvements, les scientifiques vont donc pouvoir procéder à de nouvelles datations. Mais ce n'est pas tout. Ils vont mettre sur pied une nouvelle campagne de fouilles pour rechercher des outils en silex taillés très anciens qu'ils ont identifiés dans le secteur, notamment certains bifaces moustériens étonnamment anciens, se rapportant à une culture méconnue en Périgord.
Et puis, bien sûr, dans cette fameuse nécropole des hommes et des femmes de Néandertal nommée La Ferrassie, il n'est pas impossible qu'ils découvrent d'autres sépultures, même si ce n'est pas l'objectif premier de ces recherches.
Enfin, Alain Turq aimerait engager une étude géologique du vallon pour mieux comprendre comment les cavités et les abris habitées par l'homme se sont formés par ici. Cette fois-ci ce sera la technique du géoradar, sorte d'échographie des sous-sols, qui sera mise à l'œuvre pour visualiser l'invisible, sans avoir besoin de creuser.
Car il faut bien dire que la genèse du dédale du gruyère karstique souterrain du Périgord reste un bien beau mystère.

Sophie Cattoire


Nous remercions l'ensemble des scientifiques et des étudiants qui nous ont accueillis sur ce chantier de fouilles aux abords du gisement préhistorique de La Ferrassie du 21 au 26 juin 2010.
Nous remercions notamment Magen O'Farrell, archéologue, Bastien Chadelle, étudiant en géologie, Véra Aldeias, étudiante en micromorphologie, Stéphanie Douieb, guide au Musée National de Préhistoire, qui ont participé au sondage et au tamisage des déblais et qui ont assuré la sécurité et la protection du site d'un bout à l'autre de l'opération.

Cette opération de sondage préliminaire et le chantier de fouilles qui sera programmé pour les années à venir sont placés sous la responsabilité d'un collectif international de scientifiques où l'on retrouve Alain Turq, préhistorien, conservateur au Musée National de Préhistoire, Bruno Maureille, anthropologue, directeur du Laboratoire des Populations du Passé à l'Université de Bordeaux I et leurs éminents collègues américains, les préhistoriens Harold Dibble, professeur à l'Université de Pennsylvanie, Shannon Mac Pherron, professeur au Max Planck Institute à Leipzig, Dennis Sandgathe, professeur à l'Université Simon Fraser de Vancouver et le géologue Paul Goldberg, professeur à l'Université de Boston.
D'autres disciplines seront mises à contribution pour réaliser l'ensemble de l'opération qui couvrira donc tout à la fois l'étude de l'industrie lithique contemporaine des couches les plus anciennes, l'anthropologie des restes humains déjà exhumés ou en passe de l'être et l'étude géologique approfondie du vallon de La Ferrassie.


Musée de l'Homme de Néandertal
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