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L’ÉTERNELLE SAISON DES AMOURS À LA GROTTE DE LASCAUX

Norbert Aujoulat, fin connaisseur de l’art pariétal, nous livre après des années de fréquentation intime de la grotte de Lascaux sa non moins intime conviction : c’est la vie qui jaillit de ces parois. Il confie cette interprétation dans un magnifique ouvrage, sorte d’adieu à Lascaux, intitulé : « LASCAUX le geste, l'espace et le temps » paru aux éditions du Seuil. Il nous permet ici d’en donner à voir quelques images et de résumer son approche scientifique et philosophique de ce sanctuaire de la préhistoire en Périgord Noir.
Norbert Aujoulat est Docteur HDR (habilité  à diriger les recherches) en préhistoire et géologie du Quaternaire. Conservateur du Patrimoine, il dirige depuis 1980 le département d’art pariétal au Centre National de la Préhistoire à Périgueux. Il consacre ses activités à l’étude de l’art préhistorique des grottes et des abris en France et à l’étranger, notamment en Afrique du Sud et en Namibie. De 1989 à 1999, il dirigea les recherches sur Lascaux. Depuis, ses travaux se sont orientés vers les deux sites majeurs découverts dernièrement : Chauvet en Ardèche (1994) et Cussac en Dordogne (2000). Le site internet sur Lascaux qu’il réalisa pour le ministère de la Culture reçu en mai 2000 les Webby Awards. Pour visiter la version réactualisée en 2009, cliquer sur le lien ci-après : http://www.lascaux.culture.fr


LASCAUX LIVRE SES SECRETS

Le 24 août 2005 Norbert Aujoulat donnait une conférence au cinéma Vox de Montignac pour présenter son nouveau livre publié aux éditions du Seuil et magnifiquement illustré. Le fruit de dix ans d’observation privilégiée dans la « Chapelle Sixtine de la préhistoire » découverte en 1940 et fermée au public en 1963. Un regard sur un monde insolite et envoûtant qui de l’entrée jusqu’au tréfonds célèbre selon lui un moment précis :
« Chevaux, taureaux et cervidés ont été saisis à la période du rut, de la création de la vie. Serait-ce alors une métaphore de la genèse du monde ? Je vous laisse réfléchir là-dessus. » propose le chercheur, humblement. Et de fait quand on plonge dans cet univers ô combien silencieux avec un peu d’imagination on entend gronder la fougue de la saison des amours ; cavalcades, brames et rugissements...

LA PALÉO ATTITUDE SELON NORBERT AUJOULAT

Depuis leur découverte le 12 septembre 1940 par Marcel Ravidat, Jacques Marsal, Georges Agnel et Simon Coencas, les fresques et gravures de la grotte de Lascaux fascinent. Comment les artistes du Paléolithique ont-ils fait pour que ces troupeaux de chevaux, taureaux et bouquetins vous regardent avec la même intensité où que vous soyez dans la cavité ? Norbert Aujoulat s’est efforcé de rentrer dans la peau du « paléo », comme il l’appelle, pour reconstituer son geste et voici comment il l’imagine :
1/ Quand il peut se hisser au plus près de la paroi, il choisit de souffler des pigments humectés dans sa bouche. Aucune trace de pigments secs retombés à l’aplomb, donc pas de sarbacane.
2/ Il choisit les endroits de la paroi les plus propices au tracé. Aux surfaces molles très humides (mondmilch) ou très heurtées (macro cristaux) il préfère les zones sèches relativement lisses. Il aime pour autant utiliser certains reliefs naturels et faire de ces accidents des atouts pour l’expressivité de telle ou telle figure animale.
3/ Il réfléchit beaucoup sur la traduction de la perspective, n’hésitant pas à déformer, rallonger une patte (anamorphose) pour être sûr du résultat depuis le point de vue qu’il choisit. Il est aussi le champion de la perspective de groupe (perspective atmosphérique) n’omettant aucun des attributs des cerfs du premier plan (bois, sabots, museau …) pour les suggérer à peine au dernier rang.
4/ Pourquoi n’utilise-t-il pas de charbon de bois pour le noir ? Parce qu’il trouve de l’oxyde de manganèse à foison. Aux Archives Départementales, Registre des Mines et Prospections, Norbert Aujoulat découvre que le Périgord est l’un des rares producteurs de manganèse en France, appelé d’ailleurs autrefois le "périgot", ou pierre du Périgord.
En résumé, le paléo s’adapte aux moyens du bord et à la structure de son support avec talent et simplicité. Il compose sur une « toile » rocheuse, tortueuse, mais qui sait l’inspirer par ses courbes, ses méandres, ses zones concaves au creux desquelles ses troupeaux semblent tourbillonner.

SECRET DE FAMILLE

Mais qui est-il et pourquoi l’a-t-il fait ? A ces questions fondamentales, voici ce que le chercheur propose comme éléments de réponse.
« Je ne pense pas que les hommes s’y soient succédés sur une longue période. A mon avis il s’agit d’un groupe qui a travaillé dans cette grotte le temps d’une génération. Il ne faut pas voir l’art pariétal dans sa globalité. Il s’agit à chaque fois de sanctuaires uniques réalisés par des groupes isolés. »
En ce qui concerne la composition des fresques, il y a un ordre, toujours le même qui l’a frappé et qui l’entraîne sur une piste personnelle… celle du cycle de la reproduction :
« Ces hommes ont peint d’abord les chevaux, puis les taureaux et enfin les cervidés. Les chevaux ont encore un pelage d’hiver et entrent dans la période du rut, c’est le début du printemps. Chez les aurochs, on reconnaît une vache suitée. Son veau a trois ou quatre mois, nous sommes en été. Les cerfs quant à eux avec leurs bois majestueux et leurs yeux révulsés sont en plein brame, c’est donc l’automne. Tous ces instants illustrent pour moi la création de la vie. Et au-delà, la genèse du monde. »

CUSSAC APRÈS LASCAUX

La grotte de Lascaux est fermée au public depuis 1963 en raison de la prolifération de champignons. A présent seuls des spécialistes en préservation de grotte y sont admis pour tenter d’y remédier. « J’ai dû suspendre toute recherche depuis 6 ans, Lascaux me manque bien sûr mais je préfère ne pas y aller tant que les problèmes de conservation n’ont pas été résolus » .
Norbert Aujoulat se consacre dorénavant à l’étude des gravures de la grotte de Cussac découverte au Buisson de Cadouin le 30 septembre 2000 par Marc Delluc, spéléologue. « Pour la première fois dans une grotte ornée, des squelettes humains ont été retrouvés. Ils sont au nombre de sept, six adultes et un adolescent, logés dans des bauges d’ours. Les squelettes sont tels qu’on les a déposés, pas du tout « charognés », comme si quelqu’un avait minutieusement refermé la grotte avant de s’en aller. »
Le regard du chercheur pétille, une nouvelle enquête préhistorique des plus palpitantes a pour lui débuté.
Il est aussi en charge de l’expertise des trésors de la grotte de Chauvet, dans l’Ardèche, deux fois plus grande et deux fois plus ancienne que la grotte de Lascaux.

Sophie Cattoire

Pour aller plus loin dans la découverte de Lascaux, consultez :
LASCAUX, LE GESTE, L’ESPACE ET LE TEMPS, par Norbert Aujoulat, publié aux éditions du Seuil.

Nous remercions Norbert Aujoulat, Conservateur du Patrimoine et Directeur du Département d'Art Pariétal du Centre National de Préhistoire, Ministère de la Culture et de la Communication, d'avoir eu l'obligeance de nous accorder l'autorisation de diffuser l'ensemble des photographies de ce dossier. 

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