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EN TRADUISANT EN OC EUGÈNE LE ROY…
LA LIBERTÉ S’ÉCRIT EN PATOIS

Eugène Le Roy n’est pas un auteur de bluettes paysannes au doux parfum du terroir. Il est l’auteur engagé d’une série de romans ayant certes pour cadre le monde paysan occitanophone du 19ème siècle, mais exprimant avec courage et sans mièvrerie aucune l’idéal philosophique qu’il s’est forgé tout au long de sa vie. Comme le rappelle l’historien Richard Bordes qui a minutieusement étudié le parcours de l’homme et de l’écrivain :

« Le Roy n’est pas un simple chroniqueur de campagne, comme il se définissait lui-même, c’est avant tout un homme engagé aux convictions politiques radicales, fortes et sincères. Dès 1848, le député de la Dordogne Ledru-Rollin milite comme Proudhon pour une société de petits propriétaires indépendants. Il est alors le principal dirigeant des démocrates socialistes et le premier homme politique à se revendiquer du radicalisme. A sa suite, Gambetta incite les républicains à s’appuyer sur les campagnes pour construire la République des paysans. C’est ce rêve que caresse Le Roy dans Le Moulin du Frau au travers de l’histoire des Nogaret, famille de meuniers paysans, démocrates et socialistes. En 1914, le député Yvon Delbos qui représente le radicalisme de gauche en Dordogne dira, à propos de Le Roy : « La République de ses rêves est une démocratie terrienne où les hommes mèneraient, au contact du sol nourricier, la vie simple, honnête et pure du meunier Nogaret. Au culte de la nature, il ajoutait celui de la raison… C’est de l’humanité qu’il attendait la délivrance de l’humanité elle-même. Jacquou le Croquant n’est pas simplement un incendiaire qui fait flamber le repaire de ses bourreaux, c’est aussi un Prométhée en blouse dont la torche symbolique éclaire la route ouverte à l’effort et au progrès humain ».

Avant son célèbre "Jacquou le Croquant "– l’histoire de ce jeune paysan périgordin aux prises avec la noblesse revancharde sous la Restauration – l’écrivain avait donc déjà manifesté son engagement pour la justice sociale dans son tout premier roman : "Le Moulin du Frau" paru en feuilleton dans le journal "l’Avenir du Périgord" d’avril à août 1891. Un feuilleton littéraire qui dès sa parution avait connu un vif succès.
Il y avait inventé un style bien à lui, français, nécessairement, puisque déjà la langue d’oïl s’imposait, mais savoureusement matiné d’occitan. La belle langue d’oc des fiers paysans de son enfance, devenus grâce à lui héros de romans traduits dans de nombreux pays.
Grâce à Jean-Claude Dugros, troubadour du XXIème siècle, Majoral du Félibrige, le mouvement poétique occitan à l'origine des Félibrées, "Le Moulin du Frau" connaît, cent ans après la mort de son auteur, sa première traduction occitane. Elle vient d’être éditée par Lo Bornat dau Perigòrd, école félibréenne dont Eugène Le Roy lui-même fut l’un des fondateurs. Le Conseil Général de la Dordogne, représenté par Jean Ganhaire, a soutenu cette publication tout comme l’Institut Eugène Le Roy de Périgueux, présidé par Gérard Fayolle, car, comme il l’a dit d’une manière brillamment concise :
"Le livre, c’est la preuve qu’une langue existe."

L’occitan à l’assaut des bibliothèques

Ce n’est pas rien de perdre sa langue. Bien sûr, le français est une langue magnifique, le russe aussi d’ailleurs, mais allez dire ça aux Tchétchènes.

La langue est la vie et un concert des nations sans occitan est aussi triste qu’un paysage sans paysans ou une félibrée sans félibres. A quoi sert d’appauvrir si ce n’est à dominer en étouffant sournoisement les mots drôles et les mots doux qui font du bien comme les premiers mots d’amour, ceux gazouillés par la mère, ou les premières leçons de courage prononcées gravement par un grand père.

Eugène Le Roy a un gros défaut. Il a un nom bien français, bien droit, un rien monarchiste et pas vraiment gouleyant. Et alors ? Il est né dans le château de Hautefort le 29 novembre 1836, d’un couple de domestiques au service du Baron Ange Hyacinthe Maxence de Damas de Cormaillon – voilà un joli nom ! – ancien ministre et époux de Charlotte de Hautefort qui lui amèna en dot son splendide château bâti sur celui du troubadour Bertrand de Born. En ce temps-là, même si la Révolution française avait eu l’ambition de tordre le coup aux cultures régionales, tout le monde parlait encore occitan en Périgord. Mais l’histoire bien sûr était en marche – le futur ne recule jamais, comme l’a écrit Voutch – et que ce soit au nom de l’Empire ou de la République, les particularismes allaient devoir céder à l’issue d’un siècle ubuesque, riche en guerres appelées « campagnes », sans doute parce que la chair à canon était faite de paysans.

Eugène Le Roy a un autre défaut. Il est différent et jamais là où on croit. Il n’est pas issu du sérail mais il ira à l’école rurale de Hautefort et même à l’école des Frères de Périgueux. Pour autant, il ne sera pas curé et ne passera pas sa vie les deux pieds dans le même sabot. Voyez plutôt :
- 1851 : à 15 ans, ayant refusé le séminaire, il se retrouve commis épicier à Paris et fréquente les faubourgs socialistes. La rage au cœur, il assiste à la proclamation du Second Empire.
- 1854 : à 18 ans, n’étant pourtant certes pas favorable à Napoléon III, mais peut-être avide d’aventure, il s’engage dans l’armée napoléonienne et participe aux campagnes d’Algérie puis d’Italie. Rétrogradé pour indiscipline, il démissionne au bout de cinq ans.
- 1870 : à 34 ans, il s’engage à l’appel de Gambetta comme volontaire pour la guerre contre la Prusse et revient, ulcéré par l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.
- 1877 : à 41 ans, soulevant l’indignation de la bonne société, il épouse civilement sa compagne dont il a déjà un fils de 3 ans, Yvon, qu’il n’a pas fait baptiser. Il est révoqué de l’Administration des Finances où il avait été reçu sur concours, puis réintégré l’année d’après.

Eugène Le Roy patoise en français et francise en patois

Anticlérical, irrévérencieux, anticonformiste, sur le tard, il se met à écrire et à publier. Et c’est vers le monde paysan qu’il connaît bien, qu’il comprend et qu’il aime, qu’il retourne, résolument. Ses romans se déroulent en Périgord, dans les coins secrets de son enfance. L’occitan, en cette fin de XIXème siècle, étant considéré comme un parler sauvage et inconvenant, il invente – car, bien sûr, il veut être lu – une langue à lui, expressive, inventive, personnelle, qui fait toute la force de son œuvre et forgera sa renommée. Et c’est lui qui, précisément dans "Le Moulin du Frau", son tout premier roman, la décrit le mieux, cette langue, utilisant pour cela la voix d’Hélie Nogaret, son héros meunier :
Portrait d'Eugène Le Roy, Paul-André ENARD, Aquarelle et pastel « A propos de ce patois, il me faut dire que ce soir-là, comme toujours, les deux amis employaient souvent notre langage paysan. C’était une coutume générale alors, même dans la bonne bourgeoisie, de parler le patois, et d’en faire entrer des mots et même des phrases dans les parlements faits en français. De là, ces locutions patoises, ces tournures de phrases translatées de périgordin en français dont nous avons l’accoutumance. J’en devrais parler au passé, car, si autrefois, chacun tenait à gloire de parler familièrement notre vieux patois, combien de Périgordins l’ignorent aujourd’hui ! Cette coutume a disparu avec les bonnes coiffes à barbes de nos grand-mères, avec nos vieilles moeurs simples et fortes, notre amour des coteaux pierreux. Aujourd’hui, on voit des Périgordins qui n’aiment pas l’ail, et ne savent pas le patois ! Mais il n’y a plus que quelques vieilles badernes comme moi qui regrettent ces choses. »
Et il ajoute :
« Voilà pourquoi j’emploie, en écrivant en français, des expressions qui ne sont pas françaises, et pourquoi je donne à des mots français leur signifiance patoise. Les anciens me comprendront tout de même et ceux qui n’ont pas tout à fait oublié les coutumes du pays ; les autres, non, mais je n’y puis rien. »
Enfin il a cette belle formule :
« Que l’on m’excuse donc si je patoise en français, et si je francise en patois. »

Le Hasard est un prétexte que prend le bon Dieu pour se promener incognito.(Proverbe provençal)

Jean-Claude Dugros, né à Agen le 11 avril 1945, a sagement poursuivi sa carrière de cadre de banque et n’est vraiment revenu vers l’occitan qu’une fois à la retraite. Il s’y est alors donné corps et âme, à grand renfort d’études pour non seulement la comprendre mais aussi l’écrire, la traduire et la parler. Il est à présent majoral du Félibrige, une reconnaissance de ses pairs et surtout un encouragement à continuer. Il est également vice-président du Bornat dau Perigòrd, chargé de la langue et de la culture. Il a entre autre traduit des œuvres du romancier et conteur périgordin Claude Seignolle, traductions accueillies avec enchantement par tous les amoureux de l’occitan. Pendant des mois il s’est attelé à la traduction du "Moulin du Frau" qu’il a présentée au public le 10 octobre 2007 au Théâtre municipal de Périgueux. Un bel ouvrage illustré par Francis Pralong, aquarelliste distingué, professeur retraité et élève d’occitan aux ateliers que Jean-Claude Dugros anime bénévolement chaque jeudi à Mussidan. Tous deux partagent une passion désintéressée pour ce pan de notre culture et se sont associés avec joie sur ce projet après s’être rencontrés à la Félibrée de Mussidan en 2005 : "Le Hasard est un prétexte que prend le Bon Dieu pour se promener incognito’" invoque avec malice Francis Pralong, citant là un proverbe de la partie provençale de l’Occitanie.

Quant à l’auteur, il a tenu à remercier avec courtoisie tous ceux qui ont permis cette publication du premier roman d‘Eugène Le Roy en occitan :

« C’est pour nous bien émouvant, en cette année du centenaire de la mort d’Eugène Le Roy, que Lo Bornat dau Perigòrd soit l’éditeur de la première traduction, dans la langue qu’il aimait tant, du "Moulin du Frau".
Eugène Le Roy est un des fondateurs du Bournat. Il l’a écrit le 20 octobre 1901, quelques jours avant la naissance officielle qui eut lieu le 10 novembre 1901 à Périgueux : « Si era son pairin, la baptisariá Lo Bornat dau Perigòrd, perqué l’i aurá pro dedins de belhas valhentas per far de bon miau, mai per fissar qui lor vodriá esmanciar. »
Eugène Le Roy fait partie des seize premiers mainteneurs. Il quittera le Bournat en septembre 1903 avec plusieurs de ses amis pour des raisons confessionnelles, considérant qu’on a enfreint l’article 3 des statuts qui dit que :
« Toutes discussions visant des sujets de politique ou de religion sont rigoureusement bannies. »
Et il faut dire aussi que Le Roy n’avait jamais accepté que ces mêmes statuts aient été établis par le chanoine Joseph Roux qui était alors une grande personnalité du Félibrige limousin.
C’est pour nous un grand honneur d’avoir compté Eugène Le Roy parmi les fondateurs de notre école félibréenne.
Vous trouverez dans ce livre la traduction de l’intégralité du texte paru en feuilleton dans "l’Avenir de la Dordogne" d’avril à août 1891, vous trouverez donc les passages supprimés dans les éditions suivantes mais aussi les ajouts faits dans ces mêmes éditions. Vous y trouverez un glossaire bien sûr et aussi un glossaire des mots occitans utilisés par Eugène Le Roy. Nous y avons mis aussi les chansons citées dans "Le Moulin du Frau" avec leur traduction en français.
Je tiens à remercier bien sincèrement toutes les personnes qui m’ont aidé dans cette tâche : Zinette et Pierrot Fouillaret qui ont été mes informateurs linguistiques de base, Bernard Lesfargues, mon maître, pour son soutien sans failles et ses conseils précieux, Jean Rigouste qui a participé activement et avec rigueur à l’étude des mots et expressions français qu’on peut rapprocher de la langue d’oc et vice-versa. Je voudrais remercier Danielle, mon épouse, qui tempère toujours le trop limousin.
Je voudrais remercier bien sincèrement mon confrère en Félibrige, Michel Samouillan, président du Bournat, qui a eu le courage d’ouvrir le vénérable Bournat à une véritable édition d’ouvrages en occitan, c’est-à-dire en graphie normée, une graphie lisible par tout le monde, par tous les occitanistes, mais aussi par les autres, ceux qui apprennent la langue d’oc, ce qui ne s’était jamais fait auparavant. Depuis Marcel Fournier, le Bournat n’avait pas connu un tel rayonnement. Il fallait du courage, merci.
Je voudrais remercier l’Institut Eugène Le Roy et son président Gérard Fayolle pour l’aide à l’édition qu’ils nous ont apportée. Merci à Jean Ganhaire grâce à qui nous avons pu obtenir aussi une aide du Conseil Général. Sans ces aides, nous n’aurions pas pu faire ce livre.
Francis pralongJe voudrais remercier pareillement Richard Bordes, le spécialiste de Le Roy, il nous l’a démontré à plusieurs reprises cette année qui lit et écrit l’occitan, qui sait donc de quoi on parle, et mon complice Francis Pralong qui lui aussi lit et écrit l’occitan et qui a répondu spontanément et avec enthousiasme quand je lui ai demandé d’illustrer le livre. Nous nous sommes connus lors de la Félibrée de Mussidan en 2005 dont il était le président du comité d’organisation. Et ce fut une Félibrée où la culture occitane a eu une grande place.
Merci à tous, et en route pour de nouvelles aventures. Après "l’Ennemi de la mort", pratiquement terminé, peut-être "Jacquou" ? »

D’ici là, tenons-nous droits et bien fiers, comme on dit en occitan.
De notre côté, nous remercions Jean-Claude Dugros qui est le traducteur de toute la version occitane de www.albuga.info car les langues régionales ont aussi besoin d’internet pour rayonner.
Nous remercions également Richard Bordes qui nous a permis de citer des extraits de ses articles et qui nous autorise à en publier deux ci-dessous pour plus ample informée :
- Eugène Le Roy républicain, franc-maçon, anticlérical sous la IIIème République : Un homme profondément périgourdin
- Eugène Le Roy, un écrivain méconnu

Sophie Cattoire

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